L’art végétalien de Yeonju Sung


Margaux Buyck
. Du 27 mars au 20 avril, la galerie AKKA Studio de Milan présentait une jeune artiste coréenne : Yeonju Sung dont le travail encensé dans son pays d’origine a également fait l’objet de diverses expositions aux Etas Unis.

Pour sa première venue en Europe, l’artiste a choisi la capitale de la mode italienne, Milan, pour présenter ses créations. Pour ceux qui ont manqué l’événement Yeonju Sung revient à Milan, début 2013 sous l’égide cette fois-ci de Francesca Alfano Miglietti.
On ose espérer qu’une exposition se tiendra dans une autre patrie de la mode et de l’art de bien manger…

Art, Mode et Nourriture.
D’Arcimboldo à Dimitri Tsykalov en passant par des évènements tels que les défilés de haute couture lors des salons du Chocolat, les aliments ont sans cesse fait l’objet de détournement de leur fonction première pour devenir de véritables sources d’inspiration cathartique pour les artistes.
Yeonju Sung pour sa part allie Mode et Nourriture en créant des habits principalement à base de légumes et de fruits. Point de matières nobles pour composer les créations de l’artiste mais des aliments que l’on retrouve dans nos assiettes: Aubergines, tomates, bananes, mangue, racines de lotus, champignons en tous genres, pain et même chewing-gum s’invitent à la table de Yeonju Sung. Le tout concocté dans un mélange de saveurs d’Orient et d’Occident.
Par son travail, elle associe deux notions que notre société contemporaine a de plus en plus tendance à opposer : Mode et Nourriture. Les égéries des défilés de haute couture ou des magazines de plus en plus filiformes laissent en effet peu de place aux excès culinaires…
Dans les créations de Yeonju Sung en revanche, désir de manger et désir d’endosser des habits se lient, se mélangent et interagissent pour créer une réalité artistique unique que le spectateur ne peut que dévorer des yeux.

Des créations immangeables et immettables.
L’artiste réinterprète totalement les fonctions originelles de la nourriture/ des vêtements.
Le point de départ de l’œuvre de Yeonju Sung est la non comestibilité et l’impossibilité d’endosser ses créations. Les fruits et légumes ne sont plus des aliments et ne seront jamais des accessoires de mode. L’aliment est spolié de son suc, de son essence même pour devenir art, sa fonction esthétique est ainsi révélée et surexploitée.
L’artiste réinvente également la fonction du vêtement : Celle de recouvrir et protéger le corps. Ce dernier est en effet absent dans les créations. Bien que l’on perçoive l’empreinte de formes féminines sur les vêtements, aucune silhouette ne revêt les habits végétaux. Le corps est obsolète, il passe au second plan. Les vêtements sont photographiés dans leur plus simple appareil, sur un fond blanc ou noir sous un éclairage qui rappelle celui des shootings de mode. Au-delà de l’impossibilité d’être portés, les créations de Yeonju Sung sont dans ne peuvent durer dans le temps, ni s’user comme un vieux jeans, de prendre une belle patine comme le ferait une veste en cuir. Au final, ses créations ne sont des habits uniquement sur le papier glacé à l’instant où est pris le cliché et redeviennent ensuite denrées périssables.

Photographier pour capturer l’éphémère et créer sa propre réalité.

« Alors, ô ma beauté! dites à la vermine
Qui vous mangera de baisers,
Que j’ai gardé la forme et l’essence divine
De mes amours décomposés! »

Lorsque que j’ai vu les créations de Yeonju Sung, me sont revenus en mémoire les vers de Charles Baudelaire du poème une charogne.
Les clichés pris par l’artiste coréenne suggèrent en effet une sensation de fraîcheur, un instant de grâce, une beauté irréelle sublimée par la photographie, mais le caractère éphémère est une notion latente et sous-jacente dans l’œuvre de Yeonju Sung. Ses travaux évoquent des réalités qui ont perdu leur essence même et seront poussière pour toujours demain.
Les photographies sont en quelque sorte l’unique trace qu’il reste des créations de Yeonju Sung. Elles immortalisent les vêtements composés de fruits et de légumes avant qu’ils ne deviennent semblables à cette ordure, à cette horrible infection qu’est la matière en décomposition. Un esprit romantique aurait probablement apprécié que soient immortalisées les différentes étapes de la putréfaction des vêtements de Yeonju Sung. L’artiste a en revanche préféré un discours plus classique privilégiant la capture d’un instant fugace, la mise en scène d’une Beauté idéalisée et impossible où la nature est sublimée.
Yeonju Sung ne s’en cache pas, l’œuvre qu’elle propose est une illusion visant à faire croire et désirer au spectateur une réalité inventée de toutes pièces.
Photography has a power to make us believe.

About theartship