Les Bohèmes s’invitent au Grand Palais

Margaux Buyck. Du 26 septembre 2012 au 14 janvier 2013, au Grand Palais à Paris se tient l’exposition Bohèmes, organisée par la réunion des musées nationaux. Elle sera ensuite présentée à Madrid à la Fundación Mapfre, du 6 février au 5 mai 2013.

 

« Bohème :

Nom donné, par comparaison avec la vie errante et vagabonde des Bohémiens, à une classe de jeunes littérateurs ou artistes parisiens, qui vivent au jour le jour du produit précaire de leur intelligence […].

Moeurs, habitudes, genre de vie des mêmes individus […].

Un genre fantaisiste, désordonné et désargenté […].

Homme gai et insouciant, qui supporte en riant tous les maux de la vie. »

 Grand dictionnaire universel du XIXe siècle, Pierre Larousse, 1867

 

L’exposition Bohèmes se tenant actuellement au Grand Palais à Paris et ce jusqu’en janvier 2013 s’attache à faire revivre l’un des plus grands mythes de l’époque moderne : l’esprit bohème. Le parti pris des organisateurs a été de souligner la polysémie du terme. En effet, il ne s’agissait pas seulement de retracer les étapes du courant artistique et social apparaissant au cours du XIXe siècle, mais aussi de mettre en avant la contribution des bohémiens à la production de l’art bohème.

La période longue que recouvre Bohèmes était un pari risqué tant la profusion de chefs d’œuvre présentés est importante. L’exposition rassemble en effet plus de 200 œuvres s’étalant sur une période de près de cinq siècles, allant de Léonard de Vinci à Picasso. On pouvait alors craindre la tenue d’une exposition un peu « fourre-tout » placée sous une thématique ample et fédératrice telle que la Liberté,  la transgression et la marginalité qui unissent bohémiens et artistes maudits. L’événement malgré quelques raccourcis simplistes échappe à l’embuscade, servi par une scénographie intéressante.

« Mettre en scène » l’exposition.

La scénographie de Bohèmes a été confiée à Robert Carsen, metteur en scène pour l’opéra et le théâtre qui a signé la mise en scène de l’un des derniers événements à succès du Grand Palais : Marie Antoinette. Pour Robert Carsen, l’objectif était « « d’apporter une certaine dramaturgie à l’exposition ». Il répond ainsi à une requête de plus en plus répandue dans les musées.  L’accrochage muséal classique est en en effet de plus en plus délaissé au profit d’un véritable mise en scène

ayant pour finalité  d’immerger littéralement le visiteur dans un univers artistique et dans son contexte. Le spectateur ne se rend plus seulement au musée pour «regarder » les œuvres mais aussi pour ressentir l’émotion d’une thématique, et se plonger dans  une époque. Plus qu’une exposition, il s’agit d’une véritable mise en abîme du contexte social. Sans cette scénographie adéquate, Bohèmes aurait pu tourner à l’inventaire de grands maîtres et des chefs-d’œuvre et lasser plus d’un visiteur.

Deux visions fantasmées de la Bohème

Bohèmes pourrait être séquencée en deux parties : deux visions fantasmées de la Bohème, comme les deux pans d’une définition plurielle.

D’un côté, on retrouve les bohémiens. Les œuvres sont mises en scène dans une grande salle ocre toute en longueur dont le sol, semblable à de la terre battue, semble avoir été foulé par des centaines de personnes. Le visiteur est entrainé dans un voyage peuplé de diseuses de bonnes aventures, de saltimbanques et de voleurs… On retrouve sur une période de près de quatre siècles, les représentations de ce peuple insoumis, ivre de Liberté. C’est un voyage  à la fois temporel et physique, puisque l’on traverse au cours de ce premier chapitre nombre de paysages français, italiens, espagnols… Notons  que cette partie de l’exposition rassemble quelques prêts exceptionnels comme le sublime homme trompé par des tsiganes de Léonard de Vinci ou encore la diseuse de bonne aventure de Georges de la Tour.

La transition entre bohémiens et bohémianisme s’opère en douceur grâce à un espace privilégiant une vision musicale et littéraire de la thématique. On retrouve bien sûr Rimbaud et Verlaine, mais aussi les partitions originales de la Bohême de Giacomo Puccini, les aquarelles du décor du fameux opéra provenant de l’Archivio Storico Ricordi de Milan.

 La suite de l’exposition nous entraine dans les mansardes, les ateliers d’artistes où l’on mange où l’on dort, dans les cafés aux effluves d’absinthe et dans les cabarets… On redécouvre ici la Bohème que nous connaissons bien, celle du XIXe siècle. Cette Bohème  qui fait partie intégrante de l’imaginaire collectif : courant artistique mais aussi mouvance sociale ayant marqué de manière indélébile le quartier latin et Montmartre.  La mise en scène s’attache ainsi à restituer l’émotion d’une époque dont la figure représentative est celle de l’ artiste libre mais maudit, solitaire, sans le sou, amateur de boissons et de femmes, se noyant dans les méandres de la création artistique.

L’exposition s’achève de manière assez surprenante. Les effets de la fée verte s’estompent, on délaisse l’imaginaire des bohémiens et du XIXe siècle parisien pour se confronter à une réalité violente et acerbe : celle de l’exposition sur l’Art dégénéré  organisée à Munich en 1937 et de ses conséquences. Le visiteur quitte ainsi un univers de fantasmes pour revenir à la réalité crue d’une thématique résolument actuelle comme le souligne Sylvain Amic, commissaire général de l’exposition : «  On tolère une image dans univers virtuel et on ne tolère pas la réalité qui est à notre porte ».

 

Aller plus loin :

« Bohèmes au Grand Palais : « ce divorce entre le réel et l’image », entretien avec le commissaire général de l’exposition Bohèmes, Sylvain Amic, réalisé par Siegfried Forster, rfi, 08/10/12.

 

About theartship