CRUMB de l’underground à la Genèse

Margaux Buyck. Si la période estivale vous amène du côté de Paris, que vous soyez un grand amoureux de BD ou un néophyte, laissez-vous le temps pour une visite au musée d’art moderne de la ville afin de plonger dans l’univers psychédélique de Robert Crumb. Depuis le 13 avril et jusqu’au 19 août 2012, le MaM accueille la première rétrospective française de Robert Crumb, l’un des plus grands dessinateurs de ces cinquante dernières années, géant américain de la bande dessinée underground, icône de la contre-culture des années 1960 et 1970.

L’art contemporain soigne aux p’tits oignons un grand monsieur de la BD.

Si Robert Crumb tout au long de sa carrière a été reconnu par ses pairs, ces dernières années  le monde de l’art contemporain lui fait la cour.

En 2004, le Museum de Ludwig à Cologne enclenche le début d’une série de rétrospectives et d’expositions consacrées à Crumb. De 2006 à 2009 se multiplient les expositions aux Etats-Unis et en France. R. Crumb’s Underground  devient la première rétrospective américaine itinérante consacrée à l’artiste, qui depuis 2006 est représenté par la galerie David Zwirner de New York. Depuis le 13 avril 2012, le MaM de Paris consacre une importante rétrospective et ce au grand étonnement de l’artiste : « en tant que dessinateur, illustrateur je suis toujours très surpris d’être invité dans un musée, c’est surprenant et complètement inattendu. »

 L’exposition : De l’underground à la Genèse.

L’exposition que consacre en ce moment le MaM de Paris à Robert Crumb est monumentale.

Elle rassemble des œuvres et documents rares : plus de 700 dessins des années 60 jusqu’à nos jours, des carnets de croquis consultables sur tablettes numériques, mais aussi près de 200 revues underground ainsi que l’incontournable documentaire Crumb de Terry Zwigoff de 1994. Le parcours chronologique de l’exposition présente les grands moments de la carrière et de la vie de Robert Crumb : ses premiers pas en tant qu’illustrateur, ses débuts dans la revue Arcade, sa période underground des années 60, sa vision acerbe de l’Amérique notamment au temps de Reagan, son introspection sans concession, son amour de la musique…

Un espace distinct, que l’on rejoint par un couloir dont les murs sont recouverts de photographies et de dessins de Crumb,  est consacré à la monumentale mise en images de la Genèse à laquelle l’artiste consacra plus de quatre années de sa vie. Si peu de visiteurs s’arrêtent pour lire l’intégralité de la Genèse de Crumb (il faudrait des heures), l’impact visuel est réussi. L’œuvre de Crumb n’est plus cantonnée à la simple planche mais occupe et habite l’espace du musée. Le spectateur peut ainsi mesurer visuellement l’ampleur du travail, le génie mais aussi la folie de Robert Crumb.

L’exposition se poursuit dans un espace dédié aux ultimes travaux de Crumb en France. L’artiste illustre sa vie dans le Sud de la France avec sa femme Aline, son engagement pour sa  région d’adoption, ses rencontres fortuites gribouillées sur le set de table d’un restaurant… Les œuvres de Crumb reflètent singulièrement son changement de vie. L’artiste  semble plus apaisé, comme si l’environnement relativement protégé du Sud de la France où le temps semble prendre une toute autre dimension, lui offrait un répit.

En face de ces bouts de  vie quotidienne où sa femme Aline occupe une grande place, on note de superbes dessins reprenant des photographies de magazines de charme des années 20. Ces derniers rappellent que les femmes quelles soient détestées, fantasmées ou adulées sont l’un des thèmes récurrents dans l’œuvre de Robert Crumb.

L’exposition s’achève avec le documentaire de Terry Zwigoff (1994) consacré à l’artiste. Si certains visiteurs éluderont cette partie de l’exposition, elle est pourtant essentielle. Il s’agit en quelque sorte de la clé de voûte de l’exposition. Le documentaire permet de mieux comprendre l’œuvre et la vie de Robert Crumb. On y retrouve toutes les facettes de la personnalité de l’artiste : l’enfant issu d’une famille névrosée de l’après-guerre, le maladif du dessin, l’icône underground, le consommateur de LSD, le satiriste, l’humoriste, le provocateur, le pervers sexuel aimant et détestant les femmes…

Le dessin comme drogue.

L’effet collatéral d’une telle exposition est l’équivalent d’un vertige. Pour quelques heures vous avez voyagé dans le cerveau d’un génie fou, dans la vie d’un artiste maudit dont les dessins vous ont agressé, surpris, fait rire, dérangé mais certainement pas laissé indifférent. Un élément frappe chaque visiteur : la quantité de dessins, croquis réalisés par Robert Crumb au cours de sa vie est monstrueuse. Crumb est un accro au dessin, à la création. Plus qu’une drogue, le dessin semble être une bouée de sauvetage pour éviter de sombrer. Lorsque l’on visionne le documentaire de Terry Zwigoff, on constate que la maladie du dessin touche toute la famille Crumb. Robert et ses deux frères Charles et Maxon ressemblent à un trio d’artistes maudits : tous empêtrés dans leur névrose, mus par l’irrépressible besoin de créer, chacun possédant une sensibilité artistique à fleur de peau. Et lorsque l’on regarde l’œuvre de Robert Crumb on ne peut s’empêcher de se demander si cette capacité hors norme de créer est un don ou une malédiction.

« Il faut que je continue à dessiner pour garder mon équilibre. Si je ne dessine pas au bout d’un moment je me sens partir à la dérive. Tant que je dessine la vie a un sens. En quelque sorte,  ma vie s’est construite autour du dessin »

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