Arles: rencontre avec la photographie

Margaux Buyck. Au cours de l’été, le sud de la France accueille un florilège de festivals et d’événements. Du 2 juillet au 23 septembre 2012 se tient en Arles la 43e édition des Rencontres de la photographie.

Cette année est également l’occasion pour l’Ecole Nationale Supérieure de Photographie d’Arles (ENSP), créée en 1982, de dresser le bilan de trente années de formation.

Une école française : chauvins les arlésiens ?

Au risque d’être accusées de chauvinisme, les Rencontres d’Arles ont choisi cette année de mettre en avant les travaux des 640 étudiants arlésiens de l’ENSP. Le pari était risqué notamment du côté du public international qui pouvait y voir l’expression d’un snobisme à la française, mais l’occasion était trop belle. L’Ecole Nationale Supérieure de Photographie d’Arles fête en effet ses trente ans d’existence.

On peut cependant se demander pourquoi les organisateurs ont attendu ce trentième anniversaire pour faire le bilan. Pour François Hébel, directeur des Rencontres : dix ans, vingt ans, trente ans, c’est le temps nécessaire pour que s’épanouissent les talents de photographes, d’historiens, de commissaires, formés à l’École nationale supérieure de photographie (ENSP). Il fallait donc attendre d’atteindre une certaine maturité, que les talents éclosent avant de tirer un bilan et d’affirmer la spécificité française dans le milieu de la photographie. L’ENSP revendique une place à part entière de la photographie dans l’art contemporain. Par ailleurs, elle compte bien se démarquer des écoles allemande et américaine qui occupent la scène internationale de la photographie. Le leitmotiv de l’école d’Arles est celui de la diversité des styles. Il s’agit d’éduquer l’œil et non de le formater. Pour les enseignants, l’objectif n’est pas de fondre les étudiants dans un moule, mais de privilégier le développement et l’expression des personnalités, des talents. Cette absence de style « made in Arles » dérange parfois, certains confrères allant jusqu’à nier l’existence d’une école française. Il est vrai que les français peinent à rivaliser avec les artistes allemands et américains qui dominent le marché de l’art contemporain. On ne peut cependant reprocher à l’école d’Arles cette volonté d’atteindre l’excellence dans la diversité.

Bien que les Rencontres d’Arles aient choisi cette année le titre d’école française, les organisateurs ne s’engluent pas dans un nombrilisme primaire ou tout un chacun s’auto-congratule. On note la présence de nombreux invités venant des quatre continents. De grands artistes tels que Joseph Koudelka avec sa magnifique rétrospective Les Gitans ou encore Amos Gitaï et Klavdij Sluban sont à l’honneur. Le prix Découverte  des Rencontres permet également de mettre en avant de nombreux talents venus du monde entier.

Illustrer un article sur un tel événement est un choix cornélien et l’on se voit confronté à sa propre subjectivité. Nous avons choisi de suivre notre instinct en présentant un panel de quatre photographes provenant d’univers différents, nous ayant séduit, pour des motifs différents, au premier regard.

Alain Desvergnes : Portraits en tant que paysages / Paysages en tant que portraits

Outre l’exposition des travaux des étudiants, cette 43e édition des Rencontres de la photographie a choisi de rendre hommage aux fondateurs et enseignants de l’ENSP. Au cours de ses déambulations dans les anciens ateliers de la SCNF, le visiteur rencontrera les fameuses photos d’Alain Desvergnes, ancien directeur des Rencontres et fondateur de l’ENSP, qu’il dirigera pendant près de 16 ans.

Cette série intitulée Portraits en tant que paysages / Paysages en tant que portraits retrace le périple du photographe dans le Mississippi au cours des années 60. Alain Desvergnes affirmera avoir recherché au cours de cette quête photographique les personnages des romans de William Faulkner.

En effet, dans ces clichés des années 60, qui oscillent entre réalité et fiction, on serait à peine surpris de découvrir au détour d’une photo Robert Johnson errant sur une route, pactisant avec le diable.

On constate dans ces photographies une véritable symbiose entre l’homme et le décor. Les ouvriers noirs semblent enracinés dans ces champs de coton, de même que les jeunes filles endimanchées, aux cheveux bouclés, paraissent  faire partie du décor, figées à jamais sur le perron de ces grandes maisons blanches typiques  du sud de l’Amérique.

Olivier Cablat : Egyptomania

Changement de décor et départ pour l’Egypte avec un ancien élève de l’ENSP, Olivier Cablat.

L’exposition consacrée à ce dernier fait sourire. Le projet intitulé Egypt 3000 naît en 2003/2004, alors que le photographe participe à un programme du CNRS à Karnak dans le sud de l’Egypte. Son travail consiste alors à identifier et photographier des objets trouvés lors de fouilles archéologiques et de réaliser des prises de vue de reportage sur les différentes activités de fouille et de restauration réalisées autour du temple d’Amon. En parallèle, Olivier Cablat recueille divers objets et images ordinaires du quotidien égyptien. A la manière des fouilles archéologiques, ce travail de récolte porte un regard nouveau sur la société égyptienne actuelle et le rapport qu’elle entretient avec son passé prestigieux. Loin des clichés touristiques, Olivier Cablat nous livre une vision qui peut paraître acerbe et ironique de l’Egypte. Dans ses photographies, les pyramides sont des entrées de parkings souterrains et des toilettes publiques, les dieux égyptiens vont au supermarché et Cléopâtre qui  fume plus que de raison devient l’égérie d’une marque de cigarettes.

Nadège Mériau : voyage dans les entrailles de la matière

Française, vivant et travaillant à Londres, diplômée du Royal College of Art, Nadège Mériau nous fait partager un univers étrange naviguant entre viscéral et sublime. A travers ses photos, l’artiste nous plonge dans les entrailles d’aliments tels que le pain, la pastèque, la courge… L’effet est surprenant, les légumes se transforment en des lieux souterrains, des paysages imaginaires emprunts d’étrangeté. L’éclairage et la photographie grand format subliment les aliments, pour les rendre méconnaissables. L’intérieur d’une pastèque se transforme alors en une grotte sanguinolente, la courge devient une cavité ocre à ciel ouvert dont les filaments deviennent des lianes…

 

Jonathan Torgovnik : portraits  du Rwanda

On ne pouvait  achever cet article sans une mention particulière pour le travail du photographe israélien Jonathan Torgovnik, vivant et travaillant en Afrique du Sud, lauréat du prix Découverte 2012 des Rencontres d’Arles. Ses photographies regroupées sous le titre de Intended Consequences (Conséquences attendues) sont le fruit d’un travail de trois ans, où le photographe a interviewé et photographié des femmes et leurs enfants issus de viols perpétrés lors du génocide du Rwanda en 1994. Ici, photographie et texte sont indissociables, pour raconter les destins tragiques de ces femmes et de leurs enfants. Si les portraits restent particulièrement neutres, Jonathan Torgovnik n’en est pas moins un reporter de guerre : il photographie son après, ses conséquences (attendues).  Dans les clichés il n’y a pas d’effusions, la souffrance est dans les regards. Une photographie, une histoire est particulièrement marquante : celle de cette femme ayant eu deux filles ; l’une, fruit de l’amour avec un époux massacré et l’autre, fille du violeur et de l’assassin de sa famille. Le témoignage est cru, violent et implacable. La photographie traduit à la perfection la distance inéluctable, injuste mais compréhensible qui sépare cette mère de sa fille.

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