Margaux Buyck. Depuis la mi-janvier, Marseille est officiellement devenue capitale européenne de la culture 2013, titre qu’elle partage avec la ville de Kosice en Slovaquie. Plus de deux mois après son inauguration, nous nous proposons de revenir sur les aspirations, les espoirs mais aussi sur les désillusions et les multiples couacs qui ont marqué le début de cette année 2013 pour la cité phocéenne.
Redorer le blason de Marseille
« Renouveau de la cité », « transformer durablement la ville », « Marseille qui lutte, Marseille qui change, Marseille qui va gagner », voici quelques phrases parmi tant d’autres que l’on pouvait entendre en boucle dans les médias au moment de l’inauguration de Marseille-Provence 2013. Le message est clair, l’année 2013 est décisive pour la cité phocéenne. Elle doit saisir l’occasion d’être devenue capitale européenne de la culture pour redorer son blason, faire oublier les règlements de compte à la kalachnikov, la violence sociale, politique et économique qui parcourt ses rues. Se racheter une conduite en somme, rentrer dans le moule, un peu trop peut-être…
Il faut dire que la ville doit être à la hauteur de la comparaison inévitable avec Lille qui fut capitale européenne de la culture en 2004. Le succès indéniable de Lille a permis une transformation de la ville et de son agglomération ainsi que l’organisation d’événements culturels pérennes comme par exemple Lille 3000 qui rythment la vie lilloise depuis 2006.
Dans cette optique de profondes mutations, Marseille-Provence2013 aaffiché lors de sa candidature « la volonté de transformer durablement la ville, de mettre en œuvre un vrai projet de territoire » et de voir au-delà de l’année 2013. Pour cela Marseille a entrepris des travaux colossaux, en concentrant les nouvelles infrastructures culturelles sur le front de mer. Un choix séduisant, voire évident même, mais qui ne fait que renforcer les contrastes économiques et socioculturels entre le centre touristique et les quartiers défavorisés.
De l’archi-culturelle à la marseillaise
La grande star de ce Marseille-Provence 2013 est sans conteste le MuCEM (musée national de civilisations d’Europe et de Méditerranée) qui ouvrira ses portes (tardivement) en juin 2013. Le bâtiment ayant coûté 160 millions d’euro est un énorme volume de béton et de verre horizontal, recouvert d’une résille de béton fibré et de façades brise-vent. Une passerelle relie le musée au sublime Fort Saint-Jean. Si le résultat est agréable à l’oeil, n’allons pas crier au génie. Il semblerait en effet que le devenir des nouveaux musées soit établi sur un même schéma architectural. La physionomie du MuCEM ressemble en effet à s’y méprendre à celle du Louvre Lens, conjuguant volume horizontal afin de ne pas dénaturer l’environnement proche et une architecture de béton, d’acier et de verre.
Non loin du MuCEM, on retrouve la curieuse Villa Méditerranée conçue par l’italien Stefano Boeri. Il s’agit d’un bâtiment amphibie (certains espaces se trouvent sous l’eau) qui ressemble à un immense plongeoir. La présence de ces deux monstres architecturaux à proximité l’un de l’autre intrigue. Lors de l’inauguration du MuCEM, le maire de la ville, Jean-Claude Gaudin, offre la démonstration de ce que les Inrocks qualifient de « véritable scène politique marseillaise » : « Monsieur Vauzelle (président de la région) voulait marquer la présence culturelle de la région Paca dans Marseille à l’occasion de cette année 2013 exceptionnelle. Mais de notre côté, nous avions à faire le tunnel de la Joliette. Je lui ai dit : vous mettez trente millions dans le tunnel, et nous aussi on met trente millions dans le tunnel. Et voilà, affaire conclue. » Belle manière de justifier un projet architectural estimé à 70 millions d’euros. Mais Marseille-Provence 2013 n’est pas à une situation pagnolesque près au grand damne des marseillais.
Un autre bâtiment, le J1, révèle en effet les approximations de l’organisation du MP 2013. Cet énorme géant d’acier et de béton construit en 1930, servant de gare maritime et dont le second étage de 6000m2 a été réaménagé en espace culturel, bât des records d’affluence. La restructuration particulièrement réussie offre une vue imprenable sur la mer et la ville. En ce sens le projet offre la possibilité aux marseillais de se réapproprier la ville. Problème : les organisateurs de Marseille-Provence 2013, n’ont pas jugé bon de climatiser le lieu. Bien que l’on puisse lire sur le site de la ville au sujet du J1 que « l’expérience des capitales européennes antérieures a révélé l’importance d’un lieu de rendez-vous majeur et dynamique (…) conjuguant expositions, accueil des artistes, information des publics et soirées populaires, comme le Tri postal à Lille en 2004. », ce dernier sera donc fermé entre le 18 mai et le 11 octobre 2013, en pleine saison touristique. Dommage que les organisateurs aient fait de ce « lieu éphémère, sur lequel il n’y a pas de visibilité pour l’après 2013 » le centre névralgique de Marseille-Provence 2013. Autres aberrations urbanistiques : l’aménagement piétonnier du vieux port. Certes, l’espace est ample, dégagé mais trop aseptisé. Aux arbres pour protéger du soleil et qui auraient apportés un peu de verdure, il a été préféré des ombrières modernes qui aux dires de certains marseillais dénaturent le port.
Les oubliés de Marseille-Provence 2013
Chaque grande manifestation culturelle révèle son lot de désaccords, de mécontents et de désillusions. Marseille-Provence 2013 ne fait pas exception à la règle. Depuis son inauguration diverses critiques affleurent. Ainsi depuis le 8 février 2013, la polémique enfle au sujet des concerts de David Guetta dans le parc du château Borely prévus pour cet été. La ville de Marseille a en effet alloué 400 000 euros de subventions à Adam Production pour l’organisation de concerts payants. Si Marseille Provence 2013 n’a pas déboursé un centime, l’événement a en revanche pignon sur rue dans sa programmation. Le mécontentement des marseillais et du milieu culturel est palpable. L’utilisation de fonds publics destinés au soutien de l’art pour un concert payant est en effet vue d’un très mauvais œil dans une ville qui connaît des difficultés économiques importantes. Par ailleurs, Le journal de l’After Off 2013, dévoilait ce mois-ci que l’architecte des bâtiments de France, Gilles Bouillon n’avait reçu aucune demande d’autorisation temporaire d’utilisation du parc. Hors, cette démarche est obligatoire lorsqu’un événement est organisé à proximité d’un monument historique classé comme le château Borely. Une pétition, comptant près de 70 000 signatures est actuellement en ligne sur le net.
Les quartiers défavorisés grands perdants de l’année de la culture à Marseille
Malgré les promesses du projet initial, de nombreux mécontentements s’expriment également dans les quartiers défavorisés de Marseille. A la mi-novembre plusieurs associations du quartier Saint-Bartélémy décident de se retirer « des jardins possibles », important projet de Marseille-Provence 2013 qui associe artistes et habitants autours d’ateliers de jardinage. Le recul de ces associations est dû au sentiment latent que Marseille-Provence 2013 est un cache-misère. En effet, le terrain proposé est en zone inondable et destiné à recevoir en 2017 les gravats de la rocade autoroutière de l’avenue Arnavon. Autre maladresse, fin décembre les mairies des 13e, 14e, 15e et 16e arrondissements n’avaient toujours pas reçu de programmation. Ce genre d’attitude, à la limite du dédain ne peut qu’engendrer de la frustration et empêche également toute « mise en œuvre d’un vrai projet de territoire et de préparation de l’après 2013 », pourtant défendu par le projet initial. On remarque en effet qu’aucun équipement culturel pérenne n’a été construit dans les quartiers Nord. Pire encore on tire littéralement sur l’ambulance.
Depuis le 25 février, deux associations culturelles, les Pas Perdus et l’Art de vivre installées au comptoir de la Victorine sont menacées d’expulsion. Dans un appel à soutien, que l’on peut retrouver sur le site de l’association l’Art de vivre, les deux associations expliquent leur situation : « Le 14 décembre 2006, le jour même de l’annonce de la candidature de la Ville comme capitale européenne de la Culture 2013, la mairie de Marseille annonçait le rachat du comptoir Toussaint-Victorine. Une délibération du conseil municipal en date du 1er octobre 2007 entérinait l’engagement de la ville et réaffirmait la nécessité de travaux d’urgence « afin de permettre aux artistes de poursuivre leurs activités sur le site ». En février 2008, la Mairie en faisait l’acquisition ». Cependant aucuns travaux ne sont entrepris et les structures alertent régulièrement les services du patrimoine et de la culture sur les réparations indispensables à la sécurité et au bon déroulement de leurs activités et sur l’urgence de travaux de mise en conformité des locaux. Les deux associations affirment que depuis 5 ans « aucune initiative sérieuse n’a été prise par ces services pour répondre leurs demandes et que d’autres résidents du bâtiment ont rencontré et dénoncé les mêmes difficultés. » Des démarches collectives sont alors entreprises : constat d’huissier, demande de rendez-vous avec les services de la ville, signalements systématiques des actes de vandalisme et des dégradations, déclarations de sinistres aux assurances, demandes d’interventions, demandes de travaux d’urgence et de mise en conformité… La ville semble faire la sourde oreille. Les deux associations décident alors, l’an dernier, de suspendre le paiement du loyer, afin d’attirer l’attention de la mairie de Marseille. L’unique réponse reçue en retour est la menace d’expulsion sous un mois. La situation tourne à l’absurde lorsque l’on apprend que l’une des associations, Les Pas perdus, participe activement à Marseille-Provence 2013 dans le cadre du programme Quartiers Créatifs[1].
Face à cette multiplication de couacs et de bévues en pleine année de la culture on peut s’interroger sur les finalités de Marseille-Provence2013. Aqui va réellement profiter cet événement ? Le risque étant de faire du tourisme culturel plutôt que d’insuffler une dynamique culturelle durable. Il est évident que de l’argent a été jeté par les fenêtres et que Marseille aurait pu mieux jouer de ses difficultés et de ses particularités. Marseille-Provence 2013 donne l’impression à certains moments que la ville s’est travestie en capitale de la culture avec des projets colossaux, en oubliant parfois l’essentiel : les infrastructures culturelles déjà existantes qui souffrent de l’absence de moyens, ses quartiers…On peut seulement espérer que l’indomptable Marseille trouvera la parade et que ses habitants s’approprieront leur ville, faisant vivre l’art en dehors des espaces préétablis de l’expression artistique. Car, pour paraphraser une citation reprise par le mouvement Macao de Milan :
« L’Art et la Culture ne s’administrent pas mais se laissent vivre ».
[1] Le Mas Toc : un bâtiment décoiffé. Une exposition dans l’espace public de Guy-André Lagesse, Nicolas Barthélemy et Jérôme Rigaut. Du 1er juin au 29 septembre 2013, Quartier Griffeuille, Esplanade
Jules Vallès, 13200 Arles.
Il est dommage que cet article, si pertinent soit-il, ne soit qu’un aperçu vague des véritables problématiques qui font de Marseille Provence 2013 une opération en demi-teinte, du moins pour le moment. Et l’on ne peut comparer ce résultat à ceux de Lille 3000 ou du Louvre-Lens, deux dispositifs culturels implantés dans un territoire en reconversion dont le succès ne s’est pas encore démenti, les enjeux territoriaux et sociaux étant totalement différents à Marseille. Le Nord est, depuis les années 1980, une région qui a justement axé sa reconversion sur la vie culturelle, grâce à une politique active et transparente, comme Nantes le fera plus tard. Sans aller non plus dans les détails, car ce n’est pas le lieu ici, le véritable problème de Marseille, c’est le politique. Là où Lille 2004 a été véritablement portée par une classe politique de même couleur, et fut l’aboutissement d’une refondation urbaine, MP 2013 est la première marque d’intérêt jamais portée à la culture dans cette ville désertée, que la Friche la Belle de Mai et les quelques associations et théâtres tentent de réveiller. Elle est la proie des collectivités territoriales en place : région, département, ville, se disputent le projet depuis le début de l’opération, chacun se battant pour sa part du gâteau. Les structures créées sont à l’image de ces dissensions :hétérogènes, concurrentielles, voire en contradiction totale avec leur implantation territoriale bigarrée…Dans cet imbroglio de propositions multiples et peu lisibles, le visiteur peut en effet se perdre : ainsi le MuCEM n’est pas une “création MP2013” mais un projet étatique datant de 2002, censé redonner forme et vie nouvelle au Musée des Arts et traditions populaires de Paris, fermé en 2005. En gros, son ouverture en 2013 est presque un hasard… Le budget cité ici est donc indépendant des subventions allouées à la région par l’Europe pour faire naître cette capitale culturelle. Et pourtant ce musée va “sauver” la capitale, car les créations MP 2013, et les Musées de Marseille, hormis le J1, le musée regards de Provence et le FRAC, qui viennent d’ouvrir, n’ouvriront que fin 2013-mi 2014…Si je donne ici du grain à moudre, c’est surtout pour montrer que ce territoire est complexe, contrasté, difficile…Ce n’est pas pour rien que le projet le plus ambitieux soit un projet d’état…Cette terre d’immigration du sud ne peut être comprise à l’aune de la comparaison avec une ville de tradition ouvrière du nord…Ainsi, parler de la marginalisation des quartiers défavorisés et de l’oubli de climatisation du J1 est un peu facile…Certes les quartiers Nord sont marginalisés, et l’ont toujours été, mais il existe des structures détonantes comme l’Alhambra ou le Merlan, qui travaillent avec les publics de ces quartiers en faisant un travail de fond. En outre, contrairement à ce qui est évoqué dans l’article, les quartiers défavorisés sont partout à Marseille, et pas seulement dans les quartiers Nord : la Joliette, Belsunce, la Belle de mai, sont ainsi au coeur du processus de restructuration “culturelle” de la ville. Certes la gestion des marchés publics est douteuse à Marseille, en témoigne cet “oubli” de climatisation, mais la réalisation de ces grands chantiers et l’effort de transparence fait ici donne de l’espoir. Il ne faut pas condamner cet effort, qui en révélera d’autres. Comme tout mouvement social, il se fera de l’intérieur…En attendant j’invite l’auteur de cet article à visiter le MuCEM, constitué non pas du seul J4, mais aussi du “sublime” (et il l’est vraiment) fort saint-jean, dès juin. Il y a des beaux projets dans cette ville, et des personnes qui se battent tous les jours pour qu’elle renaisse de ses cendres.