L’Art à vif : l’exposition « les couples imaginaires » d’Olivier Ciappa vandalisée à Paris

Margaux Buyck. Si il y a une exposition parisienne qui  a fait parler d’elle c’est bien celle d’Olivier Ciappa, les couples imaginaires. Point d’artistes iconoclastes, de pissotière à l’envers ou de critique hurlant au scandale et à la mort de l’Art, juste des clichés en noir et blanc de couples pudiques, de familles réelles ou imaginaires. On aurait même pu reprocher à l’artiste d’user et d’abuser de tendresse et d’un tantinet de mièvrerie si ses photographies ne relevaient pas d’un combat plus profond, celui de la lutte contre l’homophobie.

 

Les paroles s’envolent les photos restent

A chaque événement médiatique ses photographies significatives qui serviront de point d’ancrage pour les générations futures. Les anti-mariages homosexuels ont les leurs : une marée humaine bardée de bleu et de rose, une ex-reine des folles nuits parisiennes militant corps et âme pour la cause, une femme politique s’évanouissant à cause des gaz lacrymogènes…

De l’autre côté du front, on retrouve tout d’abord un cliché du photographe de l’AFP, Gérard Julien ayant créé un engouement sans précédent et que les français connaissent à présent sous le nom du baiser de Marseille. On y voit deux jeunes filles (hétérosexuelles) s’embrassant face à des manifestants hostiles au mariage homosexuel. Lorsque l’on observe cette photographie une multitude de références nous viennent à l’esprit. On pense bien sûr au fameux baiser de Doisneau, à cette étreinte mise en scène. Puis l’on retrouve ce militantisme empreint de tendresse ostentatoire comme dans le célèbre cliché de la fille à la fleur de Marc Riboud devenu une icône des Sixties. La sympathie du spectateur va naturellement vers cette jeunesse insolente qui gifle par un baiser les esprits réfractaires, s’opposant à une autre génération représentait pas les femmes au second plan.

Une autre image loin du baiser de Marseille, traduisant une violence insoutenable est tristement passée à la postérité : la gueule cassée de Wilfrid Bruijn,  photographiée quelques temps après que le jeune homme et son compagnon aient été tabassés en pleine rue parce qu’ils se tenaient la main. La communauté gay s’empare de ces images et en fait de véritables étendards. Face aux multiples discours et débats, à la rue qui gronde, il semblerait que les partisans du mariage pour tous aient choisi un autre type d’expression, celui de la photographie.  L’image pour témoigner de la violence et de la discrimination mais surtout pout traduire la simplicité de leur vie, la vérité de leurs sentiments et leur volonté d’être perçu comme tout un chacun… C’est dans cette dualité d’expressions de sentiments simples, de mise en avant du quotidien confrontée à une incompréhension et une violence sourde que s’inscrit le travail d’Olivier Ciappa.

Au moment du débat sur le mariage et l’adoption homosexuelle en France, le jeune photographe poste sur internet un autoportrait le représentant endormi aux côtés de son compagnon et d’un bambin. Le cliché crée le buzz et fait le tour des réseaux sociaux. Il devient alors l’étendard des partisans du mariage pour tous. Réalisant que sa photographie s’est transformée en un objet militant, Ciappa décide  alors de transformer l’essai et de produire une série de photos de couples homosexuels, de familles homoparentales réelles ou fictives. Il met alors en scène des tandems inattendus de personnalités connues des français (l’actrice Eva Longoria, le nageur Florent Manaudou, la femme politique Roselyne Bachelot…), d’origines, de cultures, d’âges et d’horizons différents.

L’artiste part du principe que « l’homophobie est d’abord le symptôme d’une grande méconnaissance de l’homosexualité, d’une vision faussée, fantasmée parfois ». Il propose alors au spectateur des clichés d’une grande sobriété, d’un militantisme feutré, représentant des scènes du quotidien où des couples et des familles partagent des moments d’intimité et de tendresse. Il s’agit pour l’artiste et les associations qui le soutiennent « d’apaiser une société en tension avec ses minorités », de lui offrir un autre regard sur l’homosexualité. Point de symbolique intellectuelle dans ces œuvres, ni « d’Art en colère ».

En ce sens on pourrait rapprocher le travail d’Olivier Ciappa, d’une œuvre très médiatisée de l’artiste américain Derek Gores : Love and Only Love. Dans ce collage entièrement réalisé avec l’utilisation de tracts anti-gays, l’artiste représente une journée ordinaire au parc de deux jeunes femmes avec leur petite fille. Les deux artistes mettent en exergue une vie simple, ordinaire : un défi aux discours haineux, à la menace sous-jacente de l’homophobie qui tend à stigmatiser la communauté homosexuelle.

 

L’art outragé, la parole libérée

Après neuf mois, d’une forte médiatisation au travers des réseaux sociaux et de la presse, Ciappa se voit proposer d’exposer ses œuvres dans les espaces intérieurs et extérieurs des mairies de la capitale. La mairie du 3e arrondissement expose ainsi à partir du 16 juin les couples imaginaires accrochés au pourtour du square du Temple situé devant la mairie. Dans la nuit du 21 et 22 juin une douzaine de clichés est vandalisée. Les yeux et les visages des modèles sont lacérés ou méthodiquement découpés au cutter. La nuit suivante, le reste de l’exposition est également victime des vandales, trois personnes sont alors arrêtées. Malgré le fait qu’aucune photographie ne soit indemne, le vernissage prévu pour le 26 juin est maintenu. Au côté des nouveaux tirages sont exposées les photographies vandalisées comme autant de « pièces à conviction » de la haine homophobe. L’artiste au lieu de camoufler ses cicatrices les exhibe et met en scène ce vandalisme de l’intolérance. Le vernissage s’est transformé en un véritable rassemblement populaire, en soutien à l’artiste bien sûr mais plus largement à la communauté homosexuelle attaquée à travers la destruction de ces photographies. En réaction les mairies de Paris ont décidé de prolonger les expositions et le projet ne s’arrête pas là. En septembre 2013, l’exposition a investi des lieux extérieurs à Paris et en banlieue, puis voyagera dans toute la France. L’artiste se dit également disposé à exporter son exposition à l’étranger.

Passé le choc de la destruction de ces œuvres, on ne peut s’empêcher de constater que ces événements ont porté sur le devant de la scène un artiste jusqu’à présent méconnu du grand public. Celui-ci a bénéficié d’un coup de projecteur médiatique formidable autour de son travail. Olivier Ciappa persiste et signe en réalisant le dessin du nouveau timbre Marianne choisi cette année par les lycéens français. Il explique s’être inspiré du visage de la leader des Femen, Inna Schevchenko. Cette dernière représente selon lui une vision moderne de la Liberté guidant le peuple de Delacroix. Cette déclaration a soulevé, dès le dévoilement du nouveau timbre, une vague de contestations de certains partis politiques. L’artiste se retrouve une nouvelle fois à l’intersection entre Art et militantisme, une fois encore à la limite de la récupération politique. Or, Olivier Ciappa retombe toujours sur ses pattes, déplorant  cette « fausse polémique ». Il profite de ce nouveau coup de projecteur médiatique pour dénoncer l’absurdité des extrêmes qui se brûlent une fois de plus les doigts en s’attaquant à son travail. C’est en effet ce que l’on peut retenir de cet artiste de 34 ans : ses œuvres au premier abord empreintes d’une sorte de candeur, d’une simplicité extrême se révèlent être de véritables bombes à retardement explosant à la figure de ses détracteurs trop zélés… A suivre.

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